OGM et agriculteur
Comme pour les autres innovations, on retient surtout, entre
les différentes motivations qui pourraient pousser l’agriculteur à adopter
cette technologie, la possibilité d’obtenir un revenu supérieur en fonction de:
1)
la possibilité d’obtenir de
meilleurs rendements associée au moins à une réduction des coûts de
culture ;
2)
la diminution des risques liées
au placement de la marchandise produite sur le marché ;
3)
la diminution des risques
techniques relatifs a la production.
Seulement
si elles sont en mesure de répondre à au moins une de ces exigences, les
cultures transgéniques pourront être adoptées par l’agriculteur avec des
avantages :
- soit pour le secteur agricole, qui verrait
augmenter ses possibilités productives et financières ;
- soit pour toute la
société en relation avec l’externalité positive qu’elle pourrait continuer de
recevoir du secteur agricole. (Défense et maintien du territoire, conservation
du paysage, protection de la faune et de la flore, conservation de la
biodiversité, création d’espaces à but récréatif, conservation des aspects
culturels traditionnels du territoire rural, diminution des effets négatifs sur l’environnement produits par d’autres activités
de production ou de consommation, etc.)
1.-
Effets sur les productions et les coûts
Les
partisans des OGM affirment que l’agriculteur nationale devrait adopter les
plantes transgéniques parce qu’elles seraient en mesure de produire plus à moindre
coût.
Pourtant, les cultures transgéniques de première génération,
comme elles sont conçues, ne sont malheureusement pas en mesure de garantir un
revenu plus important au producteur. En effet, il est bien connu en agriculture
qu’une diminution des coûts de production correspond à une diminution des prix
du produit final dans le long terme. Comme le fait remarquer Galizzi « d’un coté l’agriculture... ... ... n’a aucun
moyen de contrôle du prix de ses produits et... ... ... de l’autre le progrès
technique engendre une réduction des coûts de production... ... ... A cause de
cela, les prix des produits agricoles baissent comme le font les coûts... ...
... ainsi le bénéfice n’est pas celui qu’on pouvait attendre ; cette
fois-ci au contraire, à cause de la lente mutation d’un facteur de production
utilisé par l’agriculteur, la baisse des prix peut se poursuivre en dessous du
niveau capable d’assurer la rémunération précédente au mêmes facteurs. »(Galizzi,
1960).
En réalité, il peut
arriver qu’une réduction des coûts corresponde dans le long terme à une baisse
analogue du prix de vente, restabilisant ainsi la situation de départ des
marges pour le producteur. A ce propos, il faut noter que même dans le cas ou
la marge pour le producteur par quantité de produit vendu restait constante,
une diminution de son revenu réel serait , quasi inconsciemment, favorisé, tant
que les prix des produits agricoles restent, dans la meilleure des hypothèses,
constants.
Même selon la loi de Engel, il existe la possibilité de voir se
vérifier une augmentation de la demande des produits non agroalimentaires suite
à une augmentation du revenu réel du consommateur favorisée elle même par une
baisse du prix des produits agroalimentaires. En conséquence le prix des
produits non agroalimentaires augmente et le revenu réel de l’agriculteur
diminue.
L’agriculteur national pourrait aussi obtenir un accroissement de son
revenu net à travers l’adoption d’une technique productive permettant :
-
soit une utilisation plus importante des facteurs de
production dont il dispose en abondance (main d’œuvre, terrain, etc.).
-
soit, au contraire, une utilisation moins importante
des facteurs de production qu’il doit acquérir sur le marché.
Même dans ce cas, les cultures transgéniques de première génération se
comportent de manière contraire puisqu’elles sont essentiellement désactivantes
à l’égard de quelques facteurs de production apportés directement par
l’entrepreneur, et demandent en même temps un apport plus important de facteurs
externes qu’il est contraint d’acquérir
sur le marché. En effet, en relation avec l’automatisation de la production
agricole qui est mise en place, ces facteurs externes demandent en général une
main d’œuvre moins importante qui est elle remplacée par la technologie industrielle. A cet égard, Vellante nous fait
remarquer que « les rapports d’échange entre secteur primaire et le reste de l’économie changent aussi
suite aux technologies utilisées, accélérant ou atténuant ainsi les rapports de
subordination du monde agricole. En général, le développement d’un progrès
technique type « labour saving » tend à redistribuer l’augmentation
du revenu (consécutive à une meilleure productivité) en faveur des détenteurs
du capital fixe de l’exploitation. En ce qui concerne la nature des échanges
avec le secteur industriel, l’adoption de ces nouvelles technologies rend
dépendante et subordonnée l’agriculture, non seulement par le besoin d’acquérir
les moyens techniques indispensables pour la mise en place de la technique de
production mais aussi par le fait que les industriels commercialisent leurs
biens en condition d’oligopole réalisant des profits immenses au frais du
secteur primaire. »[Vellante S., 1983]. En particulier et surtout pour les cultures
herbacées annuelles, la semence biotechnologique pourrait représenter le
premier pas pour accepter l’automatisation complète de la production agricole
(plantes auto-suffisantes, résistantes à tout type de maladie, se développant
partout) qui sera contrôlé par satellite (« precision farming ») et
qui n’aura plus besoin de l’agriculteur ou alors, juste pour des actions très
limitées. C’est dans ce contexte (c’est-à-dire celui dans lequel le revenu du
capital prévaudra sur le revenu fourni par les autres facteurs de production),
que se créent les suppositions pour le passage du contrôle du territoire rurale
par l’agriculteur, qui ne réussit plus à obtenir un revenu correspondant à son
activité puisque les facteurs de production dont il dispose ne sont plus
nécessaires et ne sont donc plus rémunérés. Les individus étrangers à
l’activité agricole avec leur propre capital seront en mesure de succéder non
seulement dans la culture mais aussi dans la propriété de l’entreprise
agricole.
Egalement dans le cas de l’augmentation de la
productivité de ces plantes, et en présence d’un prix stable des produits
offerts, l’agriculteur n’obtiendra pas des bénéfices importants avec l’adoption
des OGM actuels. En effet, ces productions sont brevetées : le fabricant
de semences sera dans tous les cas pousser à augmenter le prix de ventes de ses
semences à un niveau proche de la marge maximale que pourra déterminer
l’agriculteur et donc cela débouchera à une annulation des avantages
économiques potentiels pour le secteur agricole.
Selon les partisans des
OGM, l’augmentation du revenu de l’agriculteur pourrait aussi provenir d’une
différenciation de la production vers des produits à plus forte valeur ajoutée
(produits plus protéiniques, vitaminées, moins caloriques, moins de résidus de
fongicides, etc.). D’un point de vue mercantile, nous pouvons affirmer que l’on
se retrouve face un autre produit, complètement différent de l’original, avec
sa propre part de marché et donc sa propre clientèle qui préfère ce produit et
en apprécie les caractéristiques intrinsèques. Une telle clientèle pourra être
disposer à payer plus pour avoir ce produit alors qu’il y aurait la possibilité
pour l’agriculteur de gagner plus. Ces opportunités de gagner plus se
vérifieront seulement si le marché du produit est « libre » puisque dans
le cas, beaucoup plus réaliste, dans lequel la production soit mise en oeuvre
de manière « contractuelle »
(pour le compte du fournisseur de la plante transgenique qui fournira à
l’agriculteur la semence et prendra soin ensuite de la commercialisation du
produit obtenu) les gains majeurs seraient quasi exclusivement en faveur du
fournisseur.
Etroitement lié au précédent il y a ensuite
le problème de la brevetabilité des organismes produits ou sinon celui des
gènes qui vont les composer. Il s’agit d’un sujet d’une extrême importance
puisque on ne peut pas permettre que l’approvisionnement alimentaire soit
conditionné par le comportement d’entreprises qui possèdent un droit exclusif
sur l’utilisation de la biodiversité existante.
A cela il faut rajouter que l’idée de brevetabilité des gènes d’origine
végétale ou animale ainsi que les produits obtenus par leur utilisation, est
sortie renforcée par les dernières déclarations sur la « génome
humain » de certains chefs de gouvernement de pays qui ont fait des
découvertes importantes dans ce secteur. Leurs déclarations concernaient en
particulier les gènes humains qui devaient être considérés patrimoine de
l’humanité et qu’il était donc éthiquement inacceptable toute forme de brevet
et d’exploitation économique de ces gènes, alors qu’aucune allusion n’a été
faite à propos des gènes d’origine végétale ou animale, laissant ainsi supposer
leur brevetabilité et leur d’exploitation économique.
En pratique, que
pourrait-il arriver en réalité ? Le fournisseur d’un cultivar déterminé de
tomates ou d’aubergines pourrait enregistrer sous son nom (qui prend la fonction de marque) soit la
nouvelle plante, soit la marque commerciale avec laquelle le
« fruit » de la plante pourra ou devra être commercialisé. Par
conséquent l’organisme qui a breveté ce nouveau cultivar, outre les royaltie
sur les semences, pourrait imposer aussi le paiement d’une royaltie pour chaque
kilo de produit vendu. Pour mettre en oeuvre cette stratégie, il suffit à
l’organisme qui détient le brevet de ce cultivar de créer au niveau mondial un
réseau d’exclusivité (que ce soit eux, multiplicateurs de semences et/ou
vendeurs du produit) de manière à contrôler l’ensemble de la filière
productive, qui va de la multiplication du matériel génétique à la vente au
détail du produit obtenu. Il s’agit d’un processus « d’intégration
circulaire contractuelle » dans laquelle intervient une seule entreprise
industrielle ou commerciale, qui produit elle-même ou achète les droits de multiplication de la nouvelle
plante, enregistre ensuite la marque commerciale du produit obtenable à partir
de cette culture et gère l’ensemble de la filière. Une telle opportunité est
rendue possible de nos jours par le processus important de concentration de la
demande en produits alimentaires. La chaîne de Grande Distribution est en
mesure d’acquérir des grandes quantités de produit, qui doit être de qualité
constante, livré dans des délais stables et avec un prix relativement constant.
Dans un contexte de ce type, les grandes entreprises commerciales sont en
mesure de mettre en place de fortes concentrations de l’offre, qui dans
l’exemple cité sont facilitées par la présence d’un produit légalement protégé.
Pour ce produit il est possible de contrôler assez simplement :
- soit
l’émission sur le marché du matériel de diffusion (et donc l’appareil
productif)
-
soit la production acheminée vers la consommation,
-
soit les prévisibles et inévitables fraudes
commerciales.
Il s’agit, comme on peut
l’observer, d’une filière productive particulièrement efficace, dans laquelle,
pourtant, l’agriculteur représente toujours la maillon faible de l’ensemble de
la chaîne dans le sens ou il est souvent contraint à accepter des conditions
contractuelles particulières qui ne peuvent limiter l’autonomie des industriels.
En fait, le détenteur de la marque commerciale qui met en oeuvre une activité
spécifique de marketing sur la marque, pourrait conseiller aux entreprises qui
vendent le produit les caractéristiques qualitatives que ce dernier doit avoir
comme le conditionnement à adopter ainsi que les modalités d’emballages et de
vente. Il est évident que dans une situation de ce type l’agriculteur ne peut
certainement pas prétendre à une rémunération « complète » de
l’activité de l’entreprise dans le sens ou beaucoup d’opérations qui
caractérisent la filière sont développées par celui qui détient le brevet et qui « s’appropriera » les
rétributions relatives.
L’exemple précédent
pourra-t-il se réaliser ? Il sera réalisé seulement pour les cultures
horticoles et/ou fruticoles et pourra concerner tout nouveau cultivar végétal
potentiellement brevetable. Pourra-t-il y avoir des avantages pour le
producteur ou cette voie représente-elle un développement à risques pour notre
pays ? Ce sont ces questions auxquelles il faut donner une réponse précise
avant dans s’engager sur cette voie qui pourrait comporter d’énormes
conséquences négatives. Dans ce contexte s’insèrent les perplexités de quelques suppositions sur le rapport entre
« agriculteur et seigneur des gènes », c’est-à-dire le rapport entre
les gènes qu’ils produisent dans le champ, le produit objet de l’échange sur le
marché et les « propriétaires » du patrimoine génétique en mesure
d’engendrer ce produit. Comment pourra-être exploité ce brevet ? Existe-il
des limites à l’exploitation économique de la plante ou alors tout est permis à
celui qui possède le brevet ? Sans aucun doute, ces questions exigent des
réponses précises sur les éventuelles conséquences que l’exploitation du brevet
pourrait avoir sur le secteur agricole italien. A la limite on pourrait
supposer une situation dans laquelle l’agriculteur ne devra même plus acheter
les semences mais les recevra par la même entreprise qui détient le brevet et
qui deviendra aussi le propriétaire du produit final obtenu. Le processus
productif sera porté en avant par l’agriculteur sur la base d’une
« discipline de production » dans lequel seront énumérés : la date de
semence, les antiparasitaires à utiliser, les opérations culturales à effectuer
et encore d’autres à effectuer pour porter à maturation le produit (à la limite
le fournisseur de semences pourrait fournir aussi les moyens techniques pour
compléter le cycle productif afin d’exploiter aussi son pouvoir contractuel
envers des entreprises productrices d’engrais et/ou d’antiparasitaires). Pour
ces prestations, l’agriculteur recevra une rétribution forfaitaire qui tient
compte de l’engagement réalisé en terme de main d’œuvre et de mécanisations
spécifiques. Dans une situation de ce type, l’agriculteur est déchargé d’une grande
part des risques d’entreprise, mais il devient en même temps exclusivement un
prestataire de main d’œuvre et de capital au service du fournisseur de semences
qui reste propriétaire du produit obtenu. Evidemment, pour une production
effectuée sur commission, la rétribution pour l’agriculteur, dans une économie
de marché, sera sujette à la loi de l’offre et de la demande. Dans ce contexte,
que se passera-t-il quand l’entreprise détenant le brevet trouvera un autre
agriculteur en mesure de lui fournir les mêmes prestations à un prix
inférieurs ? Ou quand le fournisseur de semences trouvera un autre pays,
avec des conditions plus favorables au niveau des coûts de production ? Il
est évident que, aux mêmes conditions, il
placera ses productions dans tous les cas, là ou cela lui coutera le
moins cher.
L’aspect relatif à la
brevetabilité des OGM pose ensuite, d’autres importantes interrogations pour
notre pays : en tant qu’opération « d’ingénierie technique » (à
part la transgénese) elle a aussi besoin d’une série d’autres séquences ADN
(promoteur, terminateur,etc.) et d’un certain nombre de processus
technologiques qui sont déjà brevetés. « Cela signifie que même
l’inventeur le plus génial devra « s’acheter » tout le matériel et
toutes les techniques nécessaires pour faire « vivre » son invention
et donc, s’il n’a pas la capacité requise, il devra vendre son brevet au plus
offrant sur le marché. Il est donc assez évident que même un Pays développé
comme le notre, manquant de brevets et avec une capacité d’investissement
insuffisante dans le secteur, risque de rester en marge si n’est pas atténuer
la rigidité de la protection actuelle du brevet, comme par exemple en réduisant
les périodes de validité ou en excluant une partie des produits d’utilisation
générale. Les conséquences sociales de tout cela risquent d’être lourdes
surtout si, comme c’est possible, les biotechnologies deviendront vraiment ce
qu’elles promettent d’être, c’est-à-dire un pouvoir moyen contre la lutte
contre la faim et les maladies de notre ère. » (BUIATTI M., 1999).